QUI SOUFFRE BLESSE

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J. Finder

Blessures" ARBRE/ Dossier n°97/octobre 1979
Journal du Club d'expression de Vitry

Quand l'être humain est heureux, épanoui, il n'a besoin de faire de mal à personne et peut ne songer qu'à partager sa joie de vivre.

Par contre, celui qui est effectivement écorché, déprimé et solitaire, blesse, malgré lui, souvent sans raison apparente, tous ceux qu'il rencontre sur son chemin.

Ceux qui sont blessés par son comportement se sentent menacés et rejettent froidement les antipathiques, les dits irrécupérables, les tôlards, les pervers, les psychopathes et les fous.

Ils “se penchent" plus volontiers vers ceux qui sont plus sympathiques, guérissables, reconnaissants et les plus scrupuleux se préoccupent cependant d'échanges avec ceux qui sont démunis, échanges qui, sans qu'ils s'en doutent, deviennent commerciaux : "donnant-donnant ".

- Je m'occupe de malheureux et j'en éprouve de grandes satisfactions car j'aime qu'on me dise “merci”.
- Je donne de mon superflu aux pauvres, mais sans me priver de rien, sans sacrifier mes privilèges acquis honnêtement, après une vie de labeur.
- Je vide périodiquement mon grenier, cela peut rendre service à des indigents et me débarrasse, et je me sens moins gêné d'acquérir de nouveaux biens.

On peut sans crainte satisfaire son besoin d'aimer sans s'apercevoir que la sensiblerie remplace souvent l'amour profond. Qui n'a pas envie de caresser la chevelure bouclée d'un enfant abandonné qui avale ses sanglots? Oui, mais il faut vite se laver les mains, s'il paraît vraiment trop crasseux ...

Mais on vous croit illuminé si vous éprouvez une attirance envers les voleurs, les délinquants, les minables, les ingrats et les insolents. Que de déceptions avec ces gens-là, dit-on !

- Plus on leur donne, plus ils réclament !
Saint Vincent de Paul nous avait pourtant mis en garde: " Le pauvre ne te pardonnera jamais le morceau de pain que tu lui donnes ".

- S'il faut encore s'excuser, en plus de ce qu'on leur donne, où allons-nous ? Tandis que j'apportais des douceurs à un gamin sauvage, il a trouvé moyen de dérober mon porte-monnaie!
C'est justement sur ce voleur insupportable, sur cet être " odieux ", qu'il faut faire porter notre patience infinie, notre soutien, notre amour.

- Je me sens incapable de sourire à un repris de justice insolent et dépenaillé. Il paraît que quelqu'un, jadis, aurait dit : "Ce que vous faites au plus petit d'entre vous, c'est à moi que vous le faites ".

- C'est exact, mais c'est au dessus de mes forces. Tout le monde ne possède pas un esprit de sacrifice aussi solide. Se sentir d'emblée incapable d'un effort de véritable générosité, n'est-ce pas une forme élégante de la lâcheté ? Et si c'était votre enfant à vous, ce jeune délinquant ?

- Cela ne paraît pas possible, avec l'éducation qu'il a reçue.

Nous croyons savoir ce qui est bon pour les jeunes. De qui tenons-nous cette assurance ?

Donner, comprendre, aimer sans arracher quelque chose à nos habitudes, sans nous priver un peu de satisfactions intimes, c'est simplement échanger, se satisfaire sans effort à travers l'autre. Pour mieux comprendre ceux que l'on juge, prenons simplement la température de notre égoïsme, de notre besoin de prestige, de nos phantasmes inavouables, de notre désir de domination, et de nos petits mensonges quotidiens.

La simplicité authentique trouve ses racines dans l'analyse minutieuse de nos propres faiblesses.

Quand nous serons débarrassés de tout esprit de supériorité, dégagés de nos sentiments de racisme, nous nous sentirons alors proches de ceux que nous rejetons. Nous serons aptes, enfin, à nous poser les questions sérieuses :

- Pourquoi ce gamin est-il malheureux au point de devenir violent ?

  1. - Qui a rendu son cœur si froid qu'il en arrive à ne proférer que des injures ?

  2. - Suis-je capable de lui apprendre à aimer en l'aimant moi-même?

A ce niveau-là, nous n'avons plus besoin du moindre effort pour aimer réellement. Bien au contraire, nous cachons parfois nos sentiments de peur de paraître ridicules.

Attention ! un nouveau glissement nous menace : le simulacre de l'Amour, péché contre l'esprit.

Regardons-la de plus près, cette jeunesse dévoyée. Admirons ces jeunes corps pleins de vie et d'attente. Découvrons leurs yeux parfois moqueurs pour cacher leur désarroi, mais souvent si tristes, de tout l'amour déçu, si pleins de désespoir, la soif inextinguible d'être réellement aimé.

La vie n'est que mouvement perpétuel. Rien n'est gratuit ici-bas. A force de ressentir les joies immenses qu'apporte l'amour des rejetés et des minables, on y trouve sa récompense sans la chercher.

Puis, renouvelé par cet amour, on a une envie folle de partager la joie de vivre avec tous ceux que l'on rencontre.