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LA FIN DU CFDJ DE VITRY

 

J. Finder - S. Tomkiewicz

Ce “brouillon” commun rédigé en 1991, doit avec de multiples autres textes co-écrits à cette période, faire partie d'un  TOME 2 de notre livre collectif “La prison, c'est dehors” (Delachaux Niestlé)

Huit ans après la  fermeture du CFDJ de Vitry s/Seine, par le Conseil d’Administration  Espoir-CFDJ, cette mesure unilatérale et autoritaire, si révoltante à l’époque, apparaît maintenant, à la réflexion, comme une décision probablement nécessaire, voire inévitable.

En effet, il ne s’agissait pas de mettre fin brutalement à l’existence d’un établissement pour adolescents et jeunes adultes en difficulté, en bon état de fonctionnement, sur ordre d’un conseil d’administration buté et hostile sans raison valable,  mais de mettre fin à une sorte de décadence aux apparences irréparables, dont semblait souffrir cette maison jadis si efficace et reconnue.

Il est vrai, après de nombreuses mises en garde par le président de l'Espoir-CFDJ, cette fermeture  du foyer a été décidée ouvertement, brutalement, sans espoir de retour par un conseil d’administration à la majorité particulièrement anxieuse.

Il semble que cette fermeture a été souhaitée, plus ou moins hypocritement et non avouée, par la Mairie de la Ville, par le commissariat de police tout proche et récemment installé, ainsi que par la majorité des commerçants et bistros des alentours. Même une partie des juges des Enfants du TGI. de Créteil  exprimait, certes plus ou moins explicitement ce souhait.

Les très nombreuses personnes qui nous accordaient encore toute leur confiance, leur soutien sur le plan des principes, préconisaient la réouverture d'un Foyer pour des adolescents moins âgés à un autre lieu du département. Ils nous conseillaient donc fermement la poursuite de notre longue expérience dans d'autres lieux, avec une nouvelle équipe éducative.

Nous osons ajouter : excepté le président E. CFDJ, la mise à mort du CFDJ de Vitry s/Seine n'a été souhaitée d'aucune manière par nos nombreux amis, moins encore par les techniciens de l'U 69 de l'INSERM.

Une partie de l’équipe des fidèles avait l’impression qu’il valait mieux que “ça finisse”, et n’arrivait plus à supporter cette sorte d’apparente agonie du CFDJ de Vitry et la grandissante hostilité de la présidence de l'Association, qui rendait tout redressement impossible .

Les collaborateurs les plus anciens du directeur et du psychiatre avaient perdu une partie de leur confiance en eux. Ils continuaient  à croire  au savoir faire du directeur, exagérément qualifié de “génial”, mais mettaient en doute ses possibilités pour gagner cette ultime course contre la montre afin de remettre sur pied cet établissement en perte de vitesse.

A savoir, avec quelle équipe, avec quels moyens financiers régler d’une manière pacifique, mais avec une poigne de fer, les problèmes de violence, de caïdat de certains anciens, qui sans cesse cherchaient à occuper une partie des lieux, vers le début de l’année 1983 ?

En dehors des problèmes financiers pour venir en aide à ces quelques anciens considérés comme des bien regrettables échecs, dont le foyer ne pouvait assumer la prise en charge sur le plan financier se posait  désormais un problème de violence et de drogue.

Les jeunes éducateurs du Foyer engagés seulement quelques mois avant la fermeture du Foyer manquaient d'expérience et malgré toute leur bonne volonté ne parvenaient guère à maîtriser certains situations conflictuelles.

90% des éducateurs plus ou moins spécialisés, diplômés refusant à cette époque tout travail en internat, même en Foyer de semi-liberté. Certains avaient bien tenté de nous rejoindre, mais cédaient, en général à la moindre menace verbale de la part d'un grand adolescent et vivaient dans une panique constante.

Contrairement au directeur et au psychiatre, une bonne moitié de ces membres de l’équipe avait reçu des coups. Certains à la limite d’une hospitalisation.

La crainte des coups au moindre conflit avec un jeune était grande au point où une interdiction ferme du directeur de demeurer au foyer  face à un ancien drogué, qui demandait de rester pour la nuit, était transgressée le plus souvent par l’éducateur de service craintif, qui accordait asile au drogué au Foyer, à l’insu de la direction. Un autre incident de ce genre pourrait mieux encore illustrer cette situation:

Un ancien particulièrement  violent, que nous n'avions, hélas, pas réussi à soigner, après un court séjour revint au CFDJ et demanda un “dépannage” au foyer.

Une construction par les jeunes et des anciens volontaires financée par des amis, dans la propriété même du Foyer, permettait dans ce petit pavillon le dépannage pour les anciens en difficulté.

Le directeur refusa fermement ce dépannage, d'un ancien à l'agressivité à fleur de peau et inaccessible au bon dialogue. Il chargea cependant un éducateur de la location d' une chambre d’hôtel pour huit jours pour ce jeune adulte, au frais de la direction.

Pendant la nuit l’ancien sûrement anxieux  d’être seul, revint au CFDJ dont le portail était ouvert de jour comme de nuit. L’éducateur l’introduisit en douce au CFDJ en lui faisant promettre de surtout ne pas en parler au directeur...

A chaque “danger” vrai ou imaginaire les éducateurs appelaient au secours le directeur surtout la nuit. il lui fallait aussi assez souvent séparer les combattants d'une bagarre. entre un jeune et un moins jeune.

Depuis la fin des années 80 c’était surtout l’éducatrice maîtresse de maison ou le directeur  lui-même qui effectuaient des rondes de nuit, car les jeunes membres de l’équipe d'encadrement en service, n’osaient pas souvent sortir de la chambre de garde... Ils prétendaient le plus souvent de n'avoir rien entendu quand il y avait un incident à des heures tardives, ou l’introduction nocturne d’une voiture volée par un jeune du Foyer.

Un éducateur-chef recruté par le président de l 'Association en personne après la récente démission de l'équipe d'encadrement devait rétablir « l'ordre » dans la maison. Il n'a pas tenu sa place au Foyer plus d'une quinzaine de jours après avoir été conduit à hôpital par le directeur pour s'y faire recoudre le cuir chevelu...

La mise en place de veilleurs de nuit était refusée pour des raisons, avant tout financières. Quand enfin cette mesure fut autorisée par le conseil d’administration, la fermeture du CFDJ avait été déjà décidée. Cela eût été pourtant un début de solution pour résoudre la situation de violence nocturne.

L’inconscient ayant des raisons que la raison ignore, nous devons , dès1991, nous poser les questions essentielles: 

Pourquoi le directeur n’a-t-il pas mis tout son poids dans la bataille des veilleurs de nuit, et s’est-il accommodé si facilement  du refus du conseil d’administration ?

Ne souhaitait-il pas inconsciemment la fermeture, puis la réouverture de l’établissement dans un quartier moins agité? Pensait-il que 33 années de bon fonctionnement de ce Foyer,  avec un rayonnement national et international, interdisait  à cette Association d’aller jusqu’à une mesure de  fermeture, à laquelle, officiellement les Autorités de Tutelle  étaient assez fermement opposées après deux visites d'information ?...

 

Le divorce entre J. Finder et S. Tomkiewicz et l’équipe éducative avec une seule exception vers la fin de l'année 1982, était dû, d'après la déclaration du membre le plus ancien des éducateurs démissionnaires pour une raison essentielle :

Le directeur et le médecin, disait-il, ne nous soutiennent pas assez face à l'agressivité des jeunes. Ils ont le beau rôle, puisque aucun garçon n'osait lever la main sur eux. Pour eux les éducateurs ne comptent pas. Ils accordent à chaque instant toute priorité aux adolescents.

Le docteur Tomkiewicz, ajouta-t-il , le grand directeur de recherche à l'INSERM, n'a-t-il pas déclaré dans un film récent sur la psychothérapie :

« Dans les autres maisons, le directeur, le médecin sont heureux et les gamins sont dans la merde..

Chez nous on se fout de l'équipe éducative et les garçons y sont aussi heureux qu'on peut l’ être quand on n'a pas la chance d'être élevé dans une famille aimante."

Une fois admis avec objectivité et sans passion que la fermeture du CFDJ de Vitry  n’était pas seulement le fait du Prince et de la méchanceté d’un président du Conseil d’Administration, il est nécessaire d’admettre une analyse institutionnelle, pour connaître, discuter et expliciter les causes profondes, anciennes et récentes, structurales et occasionnelles de cette dramatique fermeture.

Cette tache, à notre avis actuelle, est importante pour au moins deux raisons:

Pour nous-mêmes anciens responsables du  CFDJ, depuis 33 ans pour l’un et 23 ans pour l’autre, à l’époque, car nous progressons chaque fois davantage grâce à nos échecs plutôt qu’à nos succès. Il semble grandement utile à nos lecteurs, qui depuis des années cherchent à glaner nos idées à profiter et à faire profiter du récit de nos expériences.

Par ailleurs, l’analyse des causes de la fermeture s’impose face aux ragots, voire à la stupidité et la malveillance qui présentent cette fermeture de manière mensongère. Du genre 2e CORRAL, lieux de meurtre, etc..

Pour simplifier notre  travail, tentons de présenter la fin de cet établissement sous deux chapitres:

- les facteurs généraux relevant de la Société environnante.

- les facteurs spécifiques à l’institution.



Causes économiques et politiques

Le Foyer de semi-liberté de Vitry, pour adolescents en difficulté réputés délinquants de 14 à 21 ans, est né non pas dans une période d’abondance, mais  dans une période d’expansion de la société française après la deuxième guerre mondiale.

Cette expansion, aussi bien sous la 4ème, plus encore sous la 5ème République s’accompagnait d’idées généreuses. Différentes ordonnances du Général de Gaulle, abolition des prisons pour enfants, le remplacement de la justice punitive par la rééducation, progressivement la notion de l’enfance en danger moral. Plus tard, les idées complémentaires de mai 1968.

La Société environnante souhaitait accorder une place à tout le monde et à chacun. Même les jeunes délinquants devaient profiter de cette expansion. L’ordonnance de 1945 permettait de trouver des excuses pour leurs transgressions de la Loi,  en précisant au départ : “qu’ils avaient agi sans discernement”. 

En pratique cette ambiance favorisait la création des établissements pour les jeunes, une progressive amélioration de la prise en charge par l’Etat des frais de fonctionnement. Malgré cette générosité officielle il fallait des années pour assouplir les anciens dirigeants de l’A.P. pour mieux ouvrir les cordons de la bourse de l’Administration, en attendant la mise en place de  l’A.S.E.

Cette Société en expansion ignorait le chômage, même celui des jeunes sans qualification professionnelle. Cette ambiance favorable nous permettait d’introduire, puis de faire prendre en charge par la suite l’audio-visuel pour les jeunes  et de remplacer  ou de compléter les activités purement manuelles, mes jeux de pistes et autres terres glaises par la photo, le cinéma la musique, le théâtre, l'électronique, la vidéo vers la fin même l'informatique... etc. Sans exclure le sport.

Nous pouvions donc appliquer  nos convictions de sur-gratification en faveur de nos garçons, les “gâter” sur le plan alimentaire et matériel, pour essayer de combler de notre mieux leurs manques psychologiques, leurs carences affectives, en plus de nos efforts psychothérapeutiques spécifiques..

Certains, et pas les moindres, nous reprochaient cette fois notre  attitude trop affective, trop généreuse, en précisant que nos jeunes risquaient de devenir des futurs inadaptés dans leur milieu modeste dans lequel ils étaient appelés à retourner en quittant le CFDJ.

Nos réponses, étaient souvent des interrogations :

Parce qu' un jeune devra retourner dans son ancien milieu, où, peut-être il ne mangera pas à sa faim chaque jour, faudrait-il dès maintenant l'affamer pour le préparer à sa future famine ?

Tout cela permettait de trouver pour nos garçons, pour les anciens arrivés à leur majorité, des raisons de vivre et d’espérer. Il était relativement facile de trouver des points de chute post-Vitry. Le sentiment d’abandon était totalement inconnu à cette époque. Nous trouvions sans trop d’obstacles  3-6 écoles pour des adolescents encore un peu instables qui ne supportaient  pas l’ambiance scolaire, et l’on nous accordait, sans trop d’opposition des crédits pour une école privée. Les périodes  d’inactivité chez nos jeunes travailleurs mécontents de leurs patrons, ou dont l’employeur n’était pas tellement satisfait, ne méritaient pas le qualificatif de chômage. Nous avions des  patrons toujours disponibles pour embaucher l’un de nos jeunes. Peut-être aussi, qu' à cette époque on manquait de bras.

Nous osions proclamer à nos jeunes: celui qui veut travailler le peut ! Rares étaient les jeunes au foyer qui restaient sans école ou sans travail...

C’est ainsi que nous pouvions noter dans notre livre: l’instabilité professionnelle n’est pas forcément un mal en soi, mais une période quasi obligatoire dans la réadaptation. Nous la prenions en compte dans notre stratégie de pédagogie curative.

Certains adolescents avaient parfois d'autres priorités vitales dans l'immédiat que d'aller au travail, voire à l'école. Nous acceptions sans réticence une petite période d'inactivité.

Malgré la stabilité de son  excellent fonctionnement, vers la fin de l’année 1965, le foyer connaissait un début de crise grave.

L’épanouissement relativement exceptionnel de notre jeune clientèle  ne s’appuyait pas seulement sur la période d’abondance  du pays. Comme nous n’avons cessé de le répéter tout le long du fonctionnement du CFDJ : la bonne ambiance d’un hôpital  ne suffit pas pour guérir un malade atteint d’une appendicite aiguë.

Dans nos nombreuses publications nous avions longuement insisté sur la nécessité des activités de créativité, sur l’importance  d’une stratégie de psychologie sociale, et la mise en pratique  d’une véritable politique de dynamique de groupe.

La conception psychanalytique de la toute puissance du verbe nous paraît peu efficace dans un  foyer où la majorité des habitants souffre de mauvaise verbalisation.

L’un de nos principaux objectifs consistait à parvenir à  démontrer aux garçons la supériorité de la parole sur leur violence agie...

Pour concrétiser ce que nous pensions dans leur intérêt, nous avions donc progressivement mis au point une psychothérapie, s’appuyant aussi sur toutes sortes de relaxation et  autres techniques de thérapie à composante corporelle.

L’effet de nos interventions thérapeutiques nous  apparaissait rapidement d’une efficacité souvent étonnante.  Les  adolescents, en dehors de leur saine opposition juvénile et de leurs défenses psychiques de bon augure, affirmaient y trouver une source de progrès, voire d'épanouissement.

Ces techniques étaient osées pour l’époque. Pour aller jusqu’au bout de notre authenticité, notre acceptation de la réalité, sans conformisme, face à leur impossibilité d’accéder d’emblée à une communication verbale de leurs malaises, nous leur permettions, parfois les encouragions et les déculpabilisions d’avance, non seulement d’avoir le droit de tout dire, mais aussi de tout faire pendant ces séances.

Aucun de nous, y compris notre psychologue n'a été agressé physiquement au cours des nombreuses séances de cette psychothérapie spécifique.

Comme nous avions en général affaire à des garçons, écorchés affectivement, névrosés, mais sains de corps et d’esprit, leurs petits passages à l’acte, dans les toutes premières séances se limitaient, en général à des  fantasmes suivis ou non d'attouchements voir de masturbation, au cours des manifestations auto-érotiques dans les normes de leur âge.

La confiance exceptionnelle que nous témoignaient ces grands garçons  mobilisait notre A.A.A. à une intensité peu habituelle en renforçant solidement les relations transférentielles.

Il est évident, comme l’écrivait le poète Henri Heine , “ Du sublime au ridicule, Madame, il n’y a  qu’un pas”.

L’essentiel de ces techniques fort déroutantes pour la psychiatrie classique attend encore nos efforts pour une publication explicite. Mais ceci est un  sujet réservé à d’autres cadres.

Après une longue intervention du  Conseiller à la cour de Cassation, Jean Chazal, qui  était à l’origine de la création du foyer, et qui nous suivait de près, l’accusation de voyeurisme par un confrère quelque peu malveillant se transforma en permissivité excessive, sans autre accusation.

Jean Chazal nous demandait de poursuivre nos thérapies, qui dans leur meilleure évolution conduisaient au R.E.D. d’une efficacité peu contestable, mais EN NE PERMETTANT PAS AU JEUNE D’ALLER AUSSI  LOIN, à savoir d’interdire toute allusion trop précise à sa sexualité, qui pouvait conduire à une manifestation plus ou moins masturbatoire...

Une interdiction formelle au cours d’une rencontre duelle, portant sur sa sexualité nous paraissait en opposition avec nos principes  philosophiques et thérapeutiques.

Ne pas  leur annoncer la couleur, dès le départ d'une thérapie , sans leur annoncer les limites que désormais on nous imposait constituerait une tricherie inacceptable. pour nous.

Nous avions donc décidé, dès la fin de l’année 1965 de supprimer rapidement toute technique thérapeutique allongée, le RED en général, car il pouvait conduire à un laisser-aller jugé “excessif”.

Le ralentissement , la dépression générale, la baisse de notre créativité, ne se faisait sentir que progressivement. La majorité était encore à 21 Ans,  la sociothérapie, (faire participer tous à l’amélioration de chacun) demeurait efficace. La vitesse acquise nous laissait encore quelques années, avant de sombrer.-

D’autant plus, que nous avons réussi, avec un certain succès à mettre au point rapidement des techniques complémentaires qui permettaient d’ approfondir  efficacement nos entretiens en tête à tête . Le photodrame et par la suite, en 1968 le vidéodrame méritent d’être cités.

A partir de 1973, le mécanisme d’abondance de notre Société s’est grippé. Pendant les dix années suivantes, nous nous trouvions dans une Société en crise, avec une inflation galopante, un chômage des jeunes dramatique.

Ce changement s’est ajouté à notre propre affaiblissement. La majorité à 18 ans avec le départ inattendu des jeunes les plus fiers de notre groupe, nous a privée de la plus grande partie de notre dynamisme socio-thérapeutique. et de notre béquillage par les plus grands garçons de la maison. Les rares éducateurs de qualité de notre encadrement nous ont donc quitté étant moins passionnés par l'efficacité de nos interventions à cette époque.

Comment avons nous fait pour affronter tant de difficultés nouvelles sans nous effondrer ? Que pouvions-nous faire en prenant conscience des modifications de la société environnante : la tolérance des écoles, puis des patrons allait en diminuant, malgré des discours de plus en plus généreux. Dans cette Société, qui était de moins en moins celle de la consommation, où la pauvreté, voire la misère, réapparaissait de plus en plus fort, notre réputation de tolérance et d’efficacité aidant, nous commencions à recevoir  des adolescents de plus en plus  acculturés, misérables, comme venant d’une autre planète.

Nos recrutements de jeunes commençaient  à provenir de plus en plus des pays en voie de développement, ou encore des bidonvilles, où la psychologie humaine cédait le pas à l’économie.

Nos garçons étaient de plus en plus  rejetés par la Société. Des solutions radicales, punitives étaient prônées par le public face à la délinquance et notre attitude commençait à paraître comme anachronique.

La période de tolérance, remplacée par le chômage, et le mal de vivre qui en résulte, n’a duré que le temps des roses., et abouti aux 17% de voix au parti de Monsieur Le Pen. Dans cette ambiance, la suppression de la peine de mort nous apparaît comme: “c'est toujours ça de fait”. Il est évident pour chacun qu’un référendum à ce sujet accorderait une large majorité aux partisans du retour de cette peine sanguinaire.

Du point de vue plus économique et d’une importance encore plus évidente, les périodes de chômage,  les difficultés de trouver un métier pour nos garçons, augmentaient sans cesse. Les conditions de travail, plus dures, dues aux exigences des employeurs, de plus en plus nombreux au bord de la faillite, n’étonnaient plus personne. Nos jeunes, de leur côté avaient encore davantage de difficultés pour se plier  aux moindres disciplines, et abandonnaient trop facilement un travail que nous avions trouvé pour eux si difficilement.

Nous évoquions sérieusement la nécessité nouvelle d’embaucher une personne à plein temps pour rechercher  du travail pour les garçons.

Le conseil d'administration de Espoir-CFDJ, y était formellement opposé.

Les jeunes qui souffrent  de graves carences affectives ont pour point commun leur manque de maturité, par rapport à leur âge. Comment alors leur faire comprendre, sans basse démagogie, certains principes de la nouvelle réalité et la victoire, grâce au chômage, du patronat sur les salariés?

Sur le plan du fonctionnement interne de l’établissement, cette situation provoquait un véritable stock de chômeurs et un blocage de la situation.

Les exigences  à l’adresse de l’équipe éducative  qui devait faire face aux difficultés grandissante des jeunes chômeurs, s’accentuaient. Les recrutements du personnel d’encadrement témoignaient à leur tour pour une diminution de leur résistance nerveuse face aux crises, créant ainsi un cercle vicieux.

Selon la décision du conseil d'administration de Espoir CFDJ, le 23. décembre 1983 le CFDJ, vidé de son dernier personnel et de ses adolescents fermait ses portes pour toujours.



 P.S. de Joe Finder en 2004

Mon maître en psychothérapie, mon ami et complice S . Tomkiewicz, "Tom" pour les intimes, vient de quitter ce bas monde pour rejoindre le paradis des psychiatres. Il vient d'y retrouver notre bien-aimée psychologue Claude Martin et le Dr. Bernard Zeiller de l'INSERM, le tant regretté président de l'Association. ACFDJ.

Seul survivant des dirigeants du CFDJ de Vitry, il m'incombe donc le devoir de relater en solitaire les événements qui ont suivis cette dramatique fermeture du CFDJ de Vitry sur Seine à Noël 1983.

Après une traversée du désert de quelques mois, en compagnie de Prince, le vieux chien berger allemand des adolescents du Foyer de Vitry, dont j'avais refusé la mise à mort, s'approchait rapidement la date d'ouverture, d'un nouveau Foyer, enfin mixte, pour adolescents de 12 à 18 ans.

Les Administrations de tutelle nous soutenaient à leur tour de manière tout à fait exceptionnelle.

Tout cela avec l'appui. des deux créateurs des Centres Familiaux de Jeunes, Louis et Marie-Magdeleine Revon, qui nous avaient rejoints, puisque opposés à la fermeture du CFDJ de Vitry.


Au Plessis Trévise, dans le Val de Marne Une nouvelle équipe qualifiée y compris un ancien stagiaire du CFDJ de Vitry, éducateur-musicien, nous permit, dès le jour de l'ouverture officielle de présenter à un très nombreux public, au cours d’ un après-midi, un cabaret par nos filles et garçons, d'une qualité sans précédent dans les annales du Val de Marne.

Nous étions rapidement tous amoureux de notre nouveau CFDJ, les jeunes comme les vieux.

J'avoue pour faire preuve de sincérité authentique à titre exceptionnel, que jamais dans ma longue carrière d'éducateur je n'avais tant aimé mon travail.

Aux jeunes m'interrogeant sur la satisfactions que me donnait notre nouveau Foyer, je n'osais pas trop leur faire part combien j'étais sensible à l'affection qu'ils inspiraient à tous les membres de notre équipe.

Par respect pour ces filles et garçons je leur faisais grâce d'un grand discours, en leur déclarant avec mon humour de bas étage habituel :

-« Dans cette maison j'incarne un véritable prototype de l'injustice. J'adore mon travail au milieu de vous, sans être convaincu d'être digne de tant de joie. C'est affreux, en plus on me paye pour ça... »

 

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